dimanche 8 novembre 2009

Du choix des conseillers du Prince

Cher Phénix,

Vous m'interrogiez sur l'art et la manière de choisir leurs conseillers pour les Princes qui nous gouvernent. Voilà un sujet d'importance, qu'il ne faut sous-estimer à aucun prix, tant ces conseillers sont importants pour le Prince, dans les bons comme dans les mauvais jours.

Je ne m'étendrai pas sur le principe premier : le Prince se doit de ne jamais choisir de conseillers plus compétents que lui. Ils pourraient lui faire de l'ombre ou même devenir des rivaux. Bien que très connu, ce principe est encore trop souvent mal appliqué. Mais heureusement ce n'est pas du tout le cas, me dit-on, au Vésinet.

Deuxième principe, nommer des conseillers à des postes qu'il ne peuvent pas maîtriser. Par exemple, si l'un des conseillers appréhende difficilement le maniement budgétaire, il faut le nommer aux finances. Échouant dans sa fonction, il ne pourra la garder que grâce au bon vouloir du Prince, qui s'en fait ainsi un allié indéfectible.

Troisième principe, ne pas accepter qu'une tête dépasse. Si l'un des conseillers semble devenir un interlocuteur important sur un projet significatif, comme par exemple la restructuration de la ville, il faut le remplacer par un autre conseiller dont il est bien établi qu'il sera incapable de gérer le projet. Bien sûr il faut donner au conseiller remplacé quelques hochets prestigieux pour l'occuper. De nouveau, le Prince s'est créé deux obligés totalement en sa dépendance !

Quatrième principe, tenir toujours ses conseillers en les laissant s'enferrer dans leurs erreurs. Par exemple, un conseiller propose de construire une jolie place pour 2 millions. Le Prince comprend que c'est faux, ce que d'ailleurs le conseiller ne pouvait pas ignorer vu sa connaissance du dossier, mais c'est un joli slogan, simple à appréhender et qui peut réjouir quelque temps la population. Le Prince fera semblant d'y croire, reprendra largement le slogan et… nommera le conseiller responsable de sa réalisation. Après quelques mois, la population comprendra qu'elle a été jouée, le conseiller deviendra très impopulaire, il reconnaîtra son erreur et présentera au Prince sa démission. Normalement.

Enfin dernier principe, le Prince doit être juste et ferme. Mais surtout il doit être craint. En particulier si on lui manque de respect, il doit sévir et rendre la justice publiquement, la sanction étant d'autant plus forte que la fonction du conseiller était prestigieuse. L'art suprême sera alors de faire apparaître la décision comme collective, rendant ainsi un maximum d'autres conseillers complices de la sanction, voire de l'exécution.

Voilà, cher Phénix, quelques principes importants qui doivent guider le Prince dans le choix de ses conseillers. Vous admettrez qu'ils sont souvent difficiles à mettre en œuvre. Le Prince qui arriverait à les appliquer tous ferait montre d'une grande sagesse et d'une élégante dextérité dans l'exercice du pouvoir.

Espérant que ces quelques réflexions vous aideront à mieux appréhender la tâche bien lourde des Princes qui nous gouvernent.


Votre dévoué Bossuet.


la précédente épitre de Meaux


4 commentaires:

  1. Merci à monseigneur l'évêque. Je ne doute pas que le pitre du Vésinet apprécie l'épitre de Meaux.

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  2. Ah que voilà de bons et sain(t)s principes de management,Jacques-Bénigne, et tout ça sans ENA, sans MIT!

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  3. Bien que cela soit signé Bossuet, on ne manque pas de retrouver Machiavel.
    Bravo pour ce commentaire, et admirons le talent de l'auteur !

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  4. Monseigneur,

    Les quatre principes qu'aujourd'hui vous décrivez, sont bien difficiles selon vous à appliquer.
    Je vais tâcher au contraire de vous démontrer qu'une seule condition suffit pour les rendre très faciles.

    Prenez 32 ânes comme conseillers et vous verrez que la quadrature du cercle est résolue :

    Premier principe : aucun âne n'est plus compétent que le Prince, donc pas de problème.

    Deuxième principe : quelque soit le poste que vous proposez à un âne, vous le verrez toujours incompétent. Donc il n'est pas difficile d'appliquer le second principe avec des ânes.

    Troisième principe : "si l'un des conseillers devient un personnage important, incontournable sur un sujet..." Mais aucun âne ne peut devenir important donc ce risque n'existe pas non plus.

    Quatrième principe : "laisser le conseiller s'enferrer dans ses erreurs..." Mais un âne ne fait que des erreurs, par définition. Donc là encore pas de problème.

    Cinquième principe : "Le Prince doit être craint" Là aussi ce n'est pas bien difficile d'être craint par un âne. Cet animal est bête et peureux. Donc naturellement il va craindre le Prince.

    Je ne doute pas, Monseigneur, que vous n'ayez vous-même réfléchi à la démonstration que je viens d'avancer.
    Aussi en déduis-je que votre brillant exposé n'est qu'une subtile et habile façon de prouver que les conseillers qui entourent le Prince sont tous des ânes.

    Bien à vous

    Voltaire

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